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Décryptage de l’article 150-0 B ter du Code général des impôts : les enjeux en matière immobilière

10 septembre 2024

Avec l'article 150-0 B ter du Code général des impôts (CGI), le législateur a souhaité encourager l’ancien dirigeant ayant cédé sa société à entamer une nouvelle activité économique plutôt qu’à vivre de ses rentes. 

Ce dispositif consiste pour le dirigeant à apporter ses titres à une holding qu’il contrôle, à charge pour elle de les vendre pour ensuite réinvestir dans une nouvelle activité. La plus-value dégagée lors de l’apport bénéficie d’un report d’imposition. Le capital du dirigeant apporteur se trouve ainsi préservé.

Le terrain d’application naturel du dispositif de l’article 150-0 B ter du CGI n’est pas le secteur immobilier. L’administration fiscale entretient en effet une défiance vis-à-vis de la matière qu’elle assimile dans de nombreux cas à une activité de rente. 

Certains types d’actifs et d’investissements profitent néanmoins de l’exonération. 

Après avoir rappelé les choix qui s’offrent au dirigeant qui cède sa société (I) nous reviendrons sur les conditions à remplir pour bénéficier de l’exonération (II), en détaillant l’application de l’une d’elles en matière immobilière (III). 

Options s’offrant au dirigeant en cas de cession de sa société 

L’hypothèse qui nous intéresse est celle du dirigeant souhaitant céder son entreprise ou l’une de ses branches d’activité. Se pose dans ce cas la question du traitement fiscal de ses liquidités (cash out). 

Trois options s’offrent au dirigeant.

lmpôt sur les plus-values

S’acquitter de l’impôt sur les plus-values permet de ne souffrir d’aucune contrainte concernant le réemploi des liquidités. Il s’agit d’une cession pure et simple des actions.

Donation avant cession

La donation avant cession consiste à transférer les titres d'une société à ses enfants avant de les vendre à un repreneur.

Il s’agit d’une stratégie fiscale risquée (requalifications nombreuses en abus de droit) devant permettre aux dirigeants d'entreprise de transmettre leurs parts sociales à leurs enfants sans subir la double imposition sur les plus-values de cession et les droits de donation.

L’apport avant cession (dispositif prévu par l’article 150-0 B ter du CGI)

L’apport-cession est une opération en trois temps qui consiste d’abord, pour un dirigeant, à apporter les titres de la société qu’il souhaite céder à une société holding ad hoc. Dans un second temps, la société holding cède à un tiers les titres reçus lors de l’apport, en général par le biais d’une vente. La holding se retrouve alors avec la trésorerie liée à cette vente et peut réinvestir dans une nouvelle activité (une nouvelle société). 

Un dirigeant peut apporter à une holding le fruit de la vente d’une branche d’activité ou de l’intégralité de la société. 

Conditions à remplir pour bénéficier de l’exonération sur les plus-values

Il convient de respecter plusieurs conditions, dont certaines ont été précisées par l’administration fiscale et la jurisprudence. 

Apporteur personne physique

L’apporteur doit être une personne physique agissant dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé.

Holding soumise à l'IS

La holding à laquelle les titres sont apportés doit être une société soumise à l’IS.

Rémunération 

L’apport doit être rémunéré par des titres émis par la holding.

Contrôle

A l’issue de l’apport, l’apporteur doit contrôler la société bénéficiaire de l’apport.

Exception au principe : si l’investissement se fait sans rachat des titres mais via une augmentation de capital. 

Réinvestissement du produit de la cession

L'ancien dirigeant doit réinvestir le produit de la cession à hauteur de 60% ou plus du montant total. Soit dans des actifs éligibles, soit dans des sociétés exerçant une activité éligible.

Délai de deux ans 

Le réinvestissement du produit de la cession doit intervenir dans les deux ans.

Participation effective à la gestion 

L'ancien dirigeant doit participer de manière effective à la gestion d’une activité économique.

Le dispositif appliqué à l’immobilier

Deux conditions appellent des développements concernant leur application en matière immobilière.

Le délai de deux ans

Pour bénéficier du report d’imposition, l’ancien dirigeant devra faire en sorte que la holding, dans les deux ans, redéploie les liquidités au profit d’une nouvelle activité économique.

Si celle-ci a consisté à investir dans plusieurs actifs immobiliers, il n’y a toutefois pas d’obligation de revendre toutes les acquisitions dans les deux ans. Il faut simplement avoir initié suffisamment tôt le processus. 

Par exemple, à l’issue d’une cession, l’acquisition d’un actif immobilier quelques jours seulement avant l’expiration du délai de deux ans ne suffit pas. Avant deux ans, il faut avoir eu le temps, non seulement d’acquérir, mais aussi de développer une activité économique. Il est fortement conseillé de compiler les documents de nature à prouver le développement de l’activité et le caractère habituel. 

Lorsque le délai est dépassé, l’administration accepte d’examiner si l’ancien dirigeant a poursuivi l’activité économique après l’expiration. Par exemple, en l’absence de revente à la découpe des actifs dans le délai de deux ans, le report d’imposition pourra bel et bien être octroyé si la revente se produit l’année suivante. 

Par exemple, si un ancien dirigeant identifie un actif à acquérir un an après la cession, que le processus d’acquisition échoue car le vendeur retire son bien du marché, parce que l’étude de la dataroom soulève des inquiétudes légitimes, ou encore parce que le bien est préempté, autrement qu’il faut tout recommencer… l’administration prendra en considération le contexte et ne refusera pas par principe le report d’imposition. 

Dans tous les cas, il convient de ne pas revendre l’actif précipitamment, sans création de valeur. Par principe, pour éviter d’éveiller les soupçons, un délai d’un an de conservation de l’immeuble est conseillé. 

La participation effective à la gestion d’une activité économique : application aux différentes activités immobilières

Le point commun entre les activités éligibles est la réalité d’une activité économique, par opposition à une absence de gestion effective qui confine à la rente. 

En observant la jurisprudence, nous remarquons que la simple spéculation immobilière – telles que les activités de location qui ne s’accompagnent pas de décisions de gestion – n’ouvre pas droit au report d’imposition. C’est le cas du bailleur qui acquiert un ou plusieurs actifs via une holding puis qui ne s’occupe pas personnellement des locations. 

Le juge administratif peut octroyer un report aux dirigeants qui s’investissent dans la gestion d’un projet immobilier mais il doit vérifier le caractère économique de l’activité pendant les deux ans. 

Activité de marchand de biens

Dans le cas de l’acquisition d’un immeuble mixte en vue d’une revente à la découpe, dans les deux ans, il faudra avoir entamé les travaux, les évictions et la vente. Le marchand de biens qui crée une structure dédiée à chaque actif détenu en portefeuille, qui contrôle la gestion et revend à la découpe est éligible à l’exonération. Le juge administratif s’intéresse toutefois à la durée de l’activité et à la fréquence des opérations. 

Concernant le quantum de de création de valeur, l’administration se garde bien de détailler les seuils.

Location

Dans la location meublée, l’enjeu est de créer suffisamment de services et de valeur ajoutée. Le juge administratif examine l’évolution du chiffre d’affaires généré par l’immeuble. S’il observe par exemple que celui-ci a doublé, il considérera que la hausse sera à mettre au crédit d’une gestion effective éligible au report.

L’analyse est la même pour les bureaux : la location de bureaux classique est une simple activité patrimoniale. En revanche, si des services sont mis en place et génèrent une hausse du chiffre d’affaires, là encore, le juge administratif les mettra sur le compte d’une véritable activité économique. Voici quelques exemples de prestations auxquelles la jurisprudence est sensible : accueil, secrétariat, fonctions support, conciergerie, cours de sport, réception, location IT, restauration, studios d’architecture...

Coworking

Dans le même sens, le coworking proposant nombreux services est éligible au report. 

La tendance est toutefois à une vigilance accrue de la part de l’administration. Le juge administratif s’intéresse de plus en plus à l’existence de moyens humains et matériels nécessaires à l’activité. 

Hôtellerie 

Nombreux sont les investisseurs à avoir commis une erreur d’appréciation concernant la condition d’une activité économique…  L’acquisition des murs et du fonds ne suffit pas : il faut être gérant et opérationnel dans la structure. L’acquéreur investisseur doit avoir un rôle prépondérant (participer aux assemblées, piloter l’hôtel…). 

Il faut tendre au maximum vers le mode de fonctionnement d’un hôtel (prestations, personnel) en prenant soin de limiter le recours aux prestataires externes. A ce titre, il convient de s’attacher les services de professionnels de l’hôtellerie. Le fait, par exemple, de produire des contrats de management est très bien accueilli par l’administration. 

Dans l’hypothèse d’une holding détenant plusieurs sociétés para hôtelières réalisant des prestations de services (sécurité, ménage…) le caractère économique de l’activité s’appréciera sur l’ensemble du groupe. La segmentation des prestations dans des filiales ne constitue donc pas un obstacle à l’éligibilité. 

Vente utilisateur 

Le chef d’entreprise qui souhaite acheter ses bureaux est éligible au report, sous réserve que la surface de l’immeuble ne soit pas disproportionnée par rapport aux besoins réels de l’entreprise. 

Crowdfunding

Nous manquons encore de recul concernant l’appréciation par la jurisprudence de la condition d’une réalité économique dans le secteur du crowdfunding. Les fonds private equity éligibles n’existent en effet que depuis 2019. 

Quoi qu’il en soit, la pratique des rescrits fiscaux se développe : il s’agit pour le cédant, avant l’opération, de demander à l’administration de confirmer si on rentre dans les clous.

L’analyse des conditions est d’autant plus fine que lorsque l’on rentre dans le champ de l’article 150-0 B ter du CGI, l’exonération de la plus-value n’est pas le seul avantage que l’on peut obtenir. Elle s’accompagne en effet de l’exonération de l’IFI (l’actif immobilier acquis, s’il est effectivement dédié à une activité professionnelle, sort de l’IFI) et l’exonération Dutreil (avantage fiscal en matière de donation-succession permettant une exonération de 75% de l’assiette taxable aux droits de succession/donation).